Brigitte Fontaine au Palace | 25/01/2010 & 01/02/2010

Brigitte Fontaine attend dans un restaurant parisien. Sur une île. L’été a ouvert ses bras sans prévenir, le soleil brûle les touristes qui défilent derrière la vitre. Elle fume, à l’abri des rayons. Une cigarette. Puis une autre. Valse enfumée comme éternelle. Son plaisir. Sa liberté.

Elle impose d’abord le silence. Regard qui scrute le fond de l’âme. Femme aérienne dans une société manipulée par la peur et l’interdiction.
Elle est là pour raconter “Prohibition”, son nouvel album, qui sortira le 5 octobre prochain. Prohibition.


Un mot comme figé dans le temps, projetant des images sépia de bars clandestins et d’alcool frelaté. De chapeaux souples et de gangsters dirigeant le monde depuis Chicago. Pourtant, ici, la nostalgie n’a pas son mot à dire. Brigitte Fontaine chante l’aujourd’hui, un présent qui s’écrit à coups de lois qui castrent, qui réduisent. Ce disque, aux tonalités autant rock que subliminales, admirablement produit par le Gallois Ivor Guest (le producteur du dernier Grace Jones) depuis Londres et bien sûr composé par l’indispensable Areski Belkacem, honore la poésie, “cette fascination pour le charme violent des choses” et la lutte. Un disque indépendant, fier, fait de rage et de sourires en coin, d’ondulations lascives et de chair jamais résignée. De voyages immobiles et de Dieux dévorant leurs propres dogmes. De mots surtout. Tous imaginés par Brigitte Fontaine. Des mots qui frappent, qui font naître les rires, des désirs de barricades, les larmes parfois aussi. Des mots toujours au centre, qui alternent rugissements salvateurs et émotions intimes, visions vertigineuses et légèreté d’un quotidien transfiguré.

Ce disque, plus viscéral, plus animal, plus rock que ses derniers enregistrements, Brigitte Fontaine le décrit ainsi : “C’est la prohibition, la rébellion, la révolte et parfois des sentiments émouvants… J’ai ressorti mes griffes. La politique, ça peut aller avec l’art et la poésie. Anar ? Oui, bien sûr. Oui, il y a probablement cette volonté-là dans mon album…J’ignore un peu mes volontés. Je ne connais pas très bien mes intentions. Ca vient comme ça. Je laisse sortir. Et après, je guide d’une main ferme et sûre… ”. Elle sourit, avant d’ajouter : “C’est à la fois assez sensuel, presque charnel par moments, ludique et en même temps assez impeccable je crois. Impeccable dans l’ensemble. Le son, la prise de son… Tout. Je crois que tout cela, c’est riche. Mais ne venez pas me parler de chansons expérimentales, je refuse ce mot, il ne signifie rien pour moi.” Surtout, ne pas dire “morceaux, ce langage de boucher…”.

“Prohibition” est un album qui ouvre, toujours. N’importe quel individu encore capable de vivre plutôt que de survivre y trouvera son compte. Qu’elle chante les sans-papiers, la cigarette diabolisée, la magie et la mystique des Soufis, le suicide au gaz, l’amour ou l’horreur de l’enfermement, Brigitte Fontaine accueille, de sa voix unique d’enfant éternel, toutes les âmes. Plus hardcore, plus courageuse, plus habitée, plus joueuse que pas mal de ses contemporains créateurs, celle qui ose, avec hardiesse et bonheur, faire rimer “Libellule” et “encule”, sans jamais flirter avec la vulgarité (“Je suis grossière mais pas vulgaire. Je n’ai pas de penchant pour la vulgarité. Ciel ! C’est un alexandrin”) se permet de balancer un disque vivant, carrément anglo-saxon dans sa forme, foutrement hanté par des guitares, des basses et des batteries jamais apprivoisées, toujours sur le fil, des mélodies, enfin, qui préfèrent, aux gimmicks faciles, les évasions qui élèvent.

“La musique, c’est Areski Belkacem. Je lui donne mes textes et lui travaille ensuite en profondeur. Quelquefois, je suggère des idées. Très très très rarement, je refuse une musique et je demande de refaire. C’est Ivor Guest qui a produit le disque. Génial, je l’adore. Je n’espérais pas pouvoir l’avoir, mais il se trouve que mon directeur artistique le connaissait. Et Ivor Guest avait une affection pour moi et il avait certains de mes disques. Il a été content, heureux et flatté de travailler avec moi. Honoré même, je crois qu’il m’a dit. Je ne sais pas pourquoi… Les musiciens sont tous anglais. Ils ont joué avec Brian Eno, entre autres. (Seb Rochford à la batterie, Tom Herbert à la basse, Leo Abrahams au piano, Leopold Ross à la guitare, David Coulter au banjo, Robert Logan au synthé, Philip Sheppard au violoncelle). Ce sont de jeunes Anglais, tous très bons. Il paraît que tout de suite, ils étaient dans la musique, comme des fous ! C’est étonnant, mais c’est comme ça. Je n’analyse pas ce genre de choses, pourquoi certaines personnes m’aiment. Je n’intellectualise rien, jamais. De pulsion en pulsion. Instinct et émotion. Ivor a fait les musiques, là-bas, à Londres, avec le groupe. Moi, j’ai fait les voix à Paris. L’enregistrement ? Je ne me le rappelle plus, je ne me souviens de rien, jamais. Ca a commencé il y a quelques mois et puis il y a eu des interruptions. Et le disque est là. J’en suis contente et fière.” Quand on lui demande si ce disque, c’est aussi une façon pour elle d’affirmer que jamais elle ne se soumettra, elle répond, sans attendre : “C’est juste. C’est vrai. Et que je serai toujours du côté du peuple. Insoumise, toujours… La cigarette, c’est un plaisir. Je souffre de cette interdiction. Laissez-moi décider de ma vie. Et donc de ma mort. Je vous aime. Tout le monde a envie de dire ça. Mais les gens n’osent pas ou ne peuvent pas.

Ce disque, c’est un poing levé et serré. Horizontal.” Un disque où l’on croise Grace Jones et Philippe Katerine, l’électricité reptilienne et les boucles hypnotiques, des déserts ardents et des angoisses millénaires, un humour formidable et une sensibilité totale. Un disque qui broie l’indifférence et où les chansons préfèrent, aux avions charters, ceux qui s’envolent avec champagne et orchidées. Elliot Ness a du souci à se faire…

 

PROHIBITION
“ Tout est dans le titre, ouais ! On est en 2009. Presque tout est interdit. C’est très douloureux. Je suis révoltée, plus qu’attristée. C’est la prohibition, partout. Le rouge pour naître à Barcelone, le noir pour mourir à Paris… Je l’ai écrit en une heure et demie à peu près. Comme d’habitude oserai-je dire… Je corrige un peu le lendemain et c’est tout. Je ne pense jamais.  “Prohibition”, c’était aussi fait pour rire.”

ENTRE GUILLEMETS
“Aujourd’hui, tout le monde se sent obligé de s’excuser. On dit les choses ou on ne les dit pas. C’est clair, c’est net. Se faufiler entre des guillemets, ça m’a toujours agacée. Avec ça, je me suis amusée.”

LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN
“C’est un truc rigolo sur un truc tragique. C’est à dire quelqu’un qui se suicide au gaz. Ca explose. Oh la la, quelle rigolade et voilà ! Je crois que je me suis laissée entraîner par moi-même à faire un truc rigolo avec un truc tragique.”

HAREM
“Un beau titre… Le texte est très beau, la musique est très belle. Le pianiste est merveilleux. Je ne souhaitais pas que ce morceau soit triste. Pas du tout. J’étais surprise. Je l’ai fait d’une façon vibrante et chaude. C’était un constat sur quelque chose qui, pour ainsi dire, n’existe plus. Les harems. Il doit bien en rester quelques-uns en Arabie Saoudite et ailleurs… Est-ce que j’aurais aimé être une femme de harem ? Quelle horreur ! Horrible. Des esclaves. Et les eunuques, quelques fois, ils sont un peu ratés. Ils ne sont pas vraiment coupés et ils peuvent faire des malices avec les femmes enfermées.”

DURA LEX
“Toutes ces interdictions… Là, je chante « La propriété, c’est le vol” et “Très bientôt, musique, amour, poésie seront interdits par tous ces maudits”… Il y a aussi de la peur. Oui, bien sûr. Il y a toujours de la peur pour moi. La peur domine ma vie. Mais, pour cet album, je ne l’ai pas souhaité du tout. Je ne l’ai pas mise en avant, la peur.”

PAS CE SOIR
“Voilà, la seule chanson d’amour en prose, carrément ! Ce texte est encore plus ancien que les autres. Il a plus de deux ans. J’aime beaucoup la musique. Je crois que c’est assez émouvant. Cette chanson s’est trouvée là, comme ça. Elle n’a rien à voir avec la prohibition. Grâce.”

SOUFI
“Ah, j’adore ! Je suis passionnée depuis très longtemps par les Soufis. Et par leur mystique, leur philosophie et leur drôlerie. J’ai lu beaucoup de livres sur les Soufis ou écrits par des Soufis. Et je souhaitais rendre hommage à des gens que j’aime. Ils sont à la fois les maudits et le cœur caché de l’Islam. L’ésotérisme de l’Islam. Ils sont aussi des rebelles. Faut pas déconner : les Musulmans, pour la plus grande partie, ne sont pas ce que sont malheureusement les Talibans et autres islamistes, so-called islamistes. Et, bien sûr, il y a Grace Jones qui chante. Sublime.”

IL S’EN PASSE
“Alors, là, c’est la terreur, le soleil, l’horreur. Je hais le soleil, je n’aime que l’hiver. Je hais l’été. Parce que je suis phobique du soleil, j’ai très peur aussi des orages. Là, c’est une pauvre femme absolument apeurée par tout ce qu’il se passe autour d’elle.”

JUST YOU AND ME
“Une envie de s’amuser et puis de rompre avec toutes les crasses ambiantes. S’amuser.”

PARTIR OU RESTER
“Je l’ai fait le lendemain des élections. Oui, l’exil politique. C’est l’exil politique. Le refrain, c’est « Mais comment, fuck, allons-nous faire ? Egypte, Espagne ou Angleterre… » Et l’autre répond : « On va descendre dans la rue, lutter contre les Lustucrus… ». Voilà. C’est à la fois rigolo et… Moi, je veux quitter la France et Katerine, lui, veut rester et lutter. On s’est partagé les rôles comme ça, sans préméditation…”

JE SUIS UN POETE

““Ouvrez les prisons, elles nous tuent”. Là, c’est moi qui parle. Les prisons, non, il n’en faut pas ! Démerdez-vous, ce n’est pas mon métier. Les prisons, c’est pire que tout. C’est la mort. Dans cette chanson, il y a comme un crissement. Un grincement. Et un désir de transmettre une vision de la poésie. La poésie, ça peut aussi être la crasse. La poésie est partout et elle n’a pas de contraire. La poésie, c’est la fascination pour le charme violent des choses.”

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